Naufrage de Mbour : une survivante raconte l’horreur qu’elle a vécue
Oulèye Diatta a frôlé la mort. La femme mariée fait partie des rescapés du naufrage d’une pirogue survenu dimanche dernier au large de Mbour, faisant une quarantaine de morts. Interrogée par L’Observateur, la candidate à l’immigration clandestine raconte l’horreur.
« J’ai embarqué avec mon mari »
« […]. L’organisateur de ce voyage est mon voisin de quartier, un homme très serviable, qui a toujours fait de son mieux pour aider les gens de son entourage à avoir de meilleures conditions de vie. Quand j’ai entendu dans le quartier parler d’un projet de voyage, je l’ai approché pour lui faire part de mon souhait de rallier l’Europe. Mais n’ayant pas d’argent pour payer la traversée, je lui ai promis, à l’image de bon nombre de candidats qui n’ont payé leur transport, qu’une fois en Espagne, de lui rembourser son argent dès que je commencerais à travailler. »
« Le jour du voyage, j’ai confié mon enfant à ma mère »
« Dans un premier temps, il m’a conseillé d’attendre le prochain voyage, puisqu’il ne voulait pas faire de surcharge de passagers. Ce n’est que plus tard qu’il m’a demandé de me préparer. Le jour du voyage, après avoir confié mon enfant à ma maman à Dakar, j’ai embarqué, avec mon mari, à bord de la pirogue. Contrairement à moi, lui qui avait déjà payé le billet de son transport, portait un gilet de sauvetage. »
« La pirogue a commencé à tanguer quand…»
« Après 5 km de traversée, C. Sall, le dernier à rejoindre la grande embarcation en haute mer, a demandé à un des passagers de me donner un gilet. Et c’est au moment de récupérer le gilet que la tragédie est survenue. Quand il a pris place et mis le moteur de la pirogue en marche, des passagers de l’autre côté, juste en face de nous, ont paniqué, et sont venus sur nous. Sans tarder, le capitaine est intervenu, demandant à tout le monde de rester à sa place initiale. Il n’avait pas terminé de parler que des passagers sur la même rangée que moi, se sont rués vers ceux d’en face. La pirogue commença alors à tanguer. Malgré cette panique généralisée, C. Sall s’est montré très serein, prononçant sans cesse le nom d’Allah. Soudain, la pirogue s’est renversée. »
« Comment j’ai été sauvée de la noyade »
« Alors que je me débattais de toute mes forces sous l’eau, je l’ai entendu à plusieurs reprises crier mon nom. C’est ainsi qu’il [le convoyeur] est parvenu à me saisir par la main pour me remettre au-dessus de la pirogue. Il a malheureusement voulu sauver beaucoup de gens avant d’aller à la rencontre d’autres pirogues qui rejoignaient le quai de pêche de Mbour. Avant l’arrivée des secouristes, plusieurs candidats ont réussi à s’agripper à la pirogue. Mais les fortes vagues ont emporté la quasi-totalité des passagers. Finalement, je fus la seule femme restée sur la pirogue, en compagnie de deux pêcheurs qui me réconfortaient, m’enjoignant de ne jamais lâcher la corde qui me servait de point d’appui. »
« Je voyais des gens mourir sous mes yeux »
« A ce moment, tout mon désir était de me laisser emporter par les vagues, tellement j’étais épuisée. Sous la force des vagues, la pirogue tournoyait à tel point que la corde à laquelle je m’accrochais a fini par céder. Je voyais des gens mourir sous mes yeux dans des conditions très douloureuses, bavant abondamment. Certains tendaient vainement la main, à la recherche d’hypothétiques secours. A un moment, j’aperçus mon mari au loin flottant sur l’eau. Un de ses amis a nagé jusqu’à moi, me demandant de ne jamais abandonner au risque de mourir. Quelques instants après, je l’ai vu mourir.
En voyant ses images ponctuées de cris de détresse, j’ai complètement perdu espoir. Je ne voyais que la mort devant moi. A force de m’accrocher à la pirogue en mouvement, j’ai eu plusieurs blessures sur presque tout le corps. J’ai vu de nombreux corps sans vie emportés par les vagues. […]. Même après le chavirement, au milieu des cris des passagers, le capitaine s’interrogeait sur les causes du drame. Ce n’est que plus tard que les sapeurs-pompiers sont venus nous assister. Après mes soins, j’ai regagné mon domicile conjugal. Vers 20h, il [le capitaine de la pirogue] est venu s’enquérir de ma situation avant de retourner chez lui. Même entouré de ma belle-famille et de mes proches, il m’est impossible de me départir des images du chavirement. Elles se bousculent sans cesse dans ma tête. La nuit, je reste sur mon lit, les yeux ouverts. […].»